Par un jugement rendu le 19 février 2016, le juge de la reconduite à frontière statuant en 72h a accueilli le moyen tiré de l’exception d’illégalité de l’arrêté d’expulsion du 15 novembre 2015 pris à l’encontre d’un ressortissant russe d’origine tchétchène suspecté de participer à une entreprise terroriste et annulé par voie de conséquence les arrêtés portant placement de l’intéressé en rétention administrative et fixant le pays de renvoi pris pour l’exécution de cette mesure d’éloignement.
Statuant en urgence, le juge a tout d’abord relevé qu’à l’appui de ses affirmations, le préfet n’avait versé, en défense, qu’un fragment de « note blanche » établie par les services de renseignements qui, bien que circonstanciée, faisait néanmoins seulement mention de rencontres qu’avaient eu l’intéressé en 2012 et 2013 avec deux membres de la communauté tchétchène ayant ultérieurement rejoint les rangs de Daesh et ne développait en particulier aucun élément précis permettant d’affirmer que ces contacts avaient eu pour objet le soutien ou la participation du requérant à une entreprise terroriste. Le juge a, par ailleurs, constaté qu’en dépit de la demande faite en ce sens par le tribunal, le préfet, qui n’était ni présent ni représenté à l’audience, n’avait versé au dossier aucun complément d’information, notamment les autres pages de la note blanche produite ou tout autre élément corroborant ses affirmations et notamment le fait que l’intéressé se serait rendu en Syrie en 2014 pour combattre auprès de l’Etat islamique comme mentionné dans l’arrêté attaqué. Relevant enfin que cette dernière allégation de même que son soutien à une entreprise terroriste étaient fermement contestés par le requérant, le juge a considéré, comme la commission d’expulsion lors de sa séance du 13 novembre 2015, que les seuls éléments mentionnés dans le fragment de « note blanche » versé au dossier étaient insuffisants pour laisser présumer de façon suffisamment sérieuse la participation du requérant à une entreprise terroriste.
Le juge a en outre relevé que M. X était entré en France à l’âge de 14 ans pour fuir les persécutions dont faisait l’objet sa famille de la part des autorités russes et que ces persécutions, liées aux plaintes réitérées que la mère du requérant avait adressées aux autorités russes suite au décès de son époux en 1995 lors d’une opération des forces de sécurité russes menée dans le cadre de la lutte contre la guérilla tchétchène, avaient été jugées fondées par la Cour nationale du droit d’asile qui, par décision du 31 mai 2011, avait reconnu le statut de réfugié à la mère du requérant en faisant notamment état des mauvais traitements que ce dernier avait subis juste avant le départ de la famille. Il a par ailleurs noté que, si le statut de réfugié dont bénéficiait le requérant au titre de l’unité familiale lui avait été retiré pour acte d’allégeance aux autorités russes par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 31 mars 2015, un appel contre cette décision était actuellement pendant devant la Cour nationale du droit d’asile et qu’au regard des maltraitances dont il avait déjà fait l’objet et des risques toujours actuels encourus par les membres des familles d’anciens combattants en République de Tchétchénie, a estimé qu’il existait des motifs sérieux de penser que M.X encourrait des risques personnels pour sa sécurité en cas de retour en Fédération de Russie.
Ainsi, au regard de l’ensemble de ces éléments, le juge a considéré qu’à défaut d’éléments supplémentaires apportés en défense permettant d’étayer le ralliement de M. Djamalkhanov à l’Etat islamique, ce dernier, arrivé jeune mineur en France, qui dispose de toutes ses attaches familiales sur le territoire français et encourt un risque personnel sérieux pour sa sécurité en cas de retour dans son pays d’origine, était fondé à soutenir que l’arrêté d’expulsion, fondé sur la condamnation prononcée en décembre 2013, au demeurant réduite de cinq mois suite à l’appel formé par le requérant, et des soupçons de participation à une entreprise terroriste insuffisamment établis, portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
A noter que le tribunal est saisi au fond de la légalité de l’arrêté d’expulsion en date du 15 novembre 2015.
TA Versailles 2016-02-19, 1601148, C+